Littérature étrangère/Romans

Dans la forêt, Jean Hegland.

« Je me suis réveillée dans l’obscurité en entendant la voix de ma soeur, en sentant ses mains fermes sur moi.
– Tout va bien, a-t-elle promis. C’était un rêve.
Alors même qu’elle disait cela, et que mon moi conscient acquiesçait, je crois que nous savions toutes les deux que les rêves viennent d’un lieu, quelque part, qui existe vraiment, qu’un rêve n’est que l’écho de ce qui a déjà été vécu. » – p. 38

dans_foretNon, ce n’est pas un rêve : à une époque jamais clairement définie, la civilisation telle que nous la connaissons n’existe plus. Les lumières s’éteignent pour ne jamais se rallumer, l’électricité ne vient plus, le pétrole se tarit et devient denrée précieuse à n’utiliser qu’en cas d’urgence, les espaces de consommation pillés ne sont plus que rayons immenses et vides. Dans ce monde là, deux jeunes soeurs, Eva et Nell, désormais orphelines, tentent de survivre dans leur maison, implantée depuis toujours près de la forêt.

Première déception de l’année pour cette histoire qui avait pourtant tout pour plaire. Quel curieux récit que celui de ces deux êtres vivant dans la forêt depuis toujours et la méconnaissant pourtant totalement, forcées d’apprendre à la connaître petit à petit, lettres après lettres dans l’encyclopédie universelle… La faute à la mère qui avait peur de chaque plante et fruits sauvages ? La faute à notre société de consommation qui nous fait oublier la nécessité de connaître et reconnaître la nature qui nous entoure ?

Il pleut pourtant de belles choses sur ce roman sorti il y a une vingtaine d’années aux Etats-Unis et traduit pour la première fois en France cette année. Si les thèmes font écho avec l’actualité pessimiste du futur écologique de notre planète, peut-être est-il bon de replacer le récit dans son contexte de 1996 pour apprécier un peu plus les questionnements qui manquent, hélas, d’une certaine subtilité.

Car Dans la forêt est une série d’énumérations : une énumération de jours, de ceux qu’on coche comme un taulard, qui se transforment en énumération de lunes nouvelles ; une énumération de toutes ces choses que nous gaspillons chaque jour et qui pourraient être utiles désormais, à quoi répondent les énumérations abondantes de plantes et fruits de la forêt depuis toujours bienveillante.

Pourquoi se cramponner à ces listes sans fin, qui n’ajoutent qu’un certain poids à la question de notre rapport à la nature ? Le contexte apocalyptique et les conditions de vie dans lesquelles se retrouvent les deux soeurs ne sont-elles pas suffisantes pour que le lecteur repense lui aussi sa relation à la nature ? Un récit redondant, donc, sur cette question là – et pour sentir l’odeur boisée et s’engouffrer dans la forêt, nous pourrons lire ou relire La petite lumière de Moresco ou même La langue des bêtes de Servant.

Mais si le roman déçoit sur la façon dont il traite ce sujet épineux et sensible, il n’en reste pas moins beau et efficace dans la manière de dire les corps : des corps qui s’étonnent, des corps qui survivent, des corps qui apprennent, des corps qui grandissent, des corps qui souffrent, des corps qui s’aiment ; et cette question terrible qui donne de l’ampleur au récit : comment appartenir à nouveau à son corps quand l’âme s’en dissocie ? Car il y a ce refrain qui revient toujours : « ta vie t’appartient ». Alors se joue le respect des choix et des actes des êtres qu’on aime, et c’est là que se cache la véritable force du récit de Jean Hegland.

Une histoire poignante dont on retiendra l’amour unique et puissant qui lie ces deux orphelines, une lecture rythmée par les pointes d’Eva qui tapent contre le sol – tac tac tac – contre le métronome, au gré des découvertes encyclopédiques de Nell, et dont les images de ce somptueux final laissent malgré tout, une empreinte indélébile et une sensation incontrôlable de liberté.

© Dans la forêt, Jean Hegland, 1996, éd. Gallmeister, 2017. Lire aussi les avis de Jérôme, Eva, Bonnes feuilles et mauvaise herbe et MicMélo. Challenge rentrée littéraire janvier 2017.

11 réflexions sur “Dans la forêt, Jean Hegland.

    • Oui c’est aussi pour ça que j’ai voulu le lire, et parce que la relation avec la nature que certains décrivaient m’enthousiasmait vraiment. Dommage, puisque c’est cela que j’ai un peu le moins aimé – trop moralisateur à mon goût au début, et trop « énumératif » par la suite… Mais c’est très subjectif, c’est juste que j’aime les phrases qui m’accrochent le coeur, celles que je veux relire et souligner tant les mots sont justes et poétiques. Je n’ai pas trouvé ça dans ce roman, bien que j’y ai trouvé d’autres choses intéressantes.

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    • Oh il ne faut pas hésiter je pense, je suis juste un poil difficile sur le style en général. Je suis sûre que cette histoire en ravira plus d’un, et il y a de belles choses et de beaux thèmes, je pense que chacun pourra trouver un petit quelque chose qui le touchera. 🙂

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